Cette nuit-là était humide et dense d’un silence assourdissant. Comme si quelque chose allait surgir de nulle part, à n’importe quel moment. Même la lune, en cet instant précis, ressemblait plus à un hameçon qu’a un croissant. Elle semblait prête à descendre de la voute céleste, se décrocher des étoiles, pour saisir sans attendre Sylvia et ses frères.
Lorsque Tiago, le plus jeune de la fratrie, marcha sur une branche, qu’il rompit dans un fracas qui avait alors tout d’un coup de tonnerre, le petit groupe s’arrêta net. Le cœur de Sylvia faillit bondir hors de sa poitrine. Son sang, quant à lui, ne fit qu’un tour.
« Merde ! Tiago, fais attention !! Chuchota Ezio, l’ainé, bien qu’il voulût hurler.
— Pardon. J’avais pas vu, répondit son frère tout aussi doucement.
— Faites attention où vous mettez les pieds, bordel ! Pas besoin de vous rappeler que si on se fait attraper, on est mal ! Dit Ezio, tout en montrant du doigt la direction dans laquelle ils se dirigeaient. »
L’écurie de la police venait de recevoir de tout nouveaux chevaux. En plus d’être d’excellentes montures, ceux-ci n’étaient pas encore marqués. Ça en faisait des cibles idéales. La vieille carne que leurs parents avaient léguée en mourant, venait de rendre l’âme. Ils n’avaient plus de cheval pour tracter leur roulotte. Le camp n’allait pas les attendre. S’ils parvenaient à voler quatre sublimes destriers, ça serait le jackpot. Ils auraient de quoi avancer. Trois bourrins leur suffiraient, mais la fratrie vivait à quatre dans une modeste roulotte. En vendre un, leur permettrait d’acheter une deuxième caravane. Il leur fallait en voler quatre. Ça tombait bien, ils étaient quatre. Bien que Tiago, le plus jeune, n’ait que 12 ans, il montait à cheval comme un vrai jockey de compétition. Ezio avait 18 ans, Fraco, le cadet 16 ans ; et Sylvia 14. Ils savaient évidemment tous monter à cheval de façon très correct.
Le petit groupe approcha à pas de loup des écuries. Ils avaient pour cela dû traverser l’esplanade du commissariat en esquivant la vigilance des agents présent sur le site. Cette mission, c’était un peu se jeter dans la gueule du loup. Surtout pour des tziganes tels qu’eux. La police se faisait une joie de martyriser sans prétexte apparent les gens du voyage. On les considérait tel que des vagabonds, des parias sociaux. Mais là, s’ils se faisaient attraper, la police ne se priverait pas de faire du zèle en les matraquant plus qu’il ne le fallait. Peu importait que ça ne soit qu’une bande d’adolescents.
Tout en s’approchant des box, ils entendirent de drôles de bruits. Des bruits qui ne semblaient pas venir d’un quelconque équidé. Une lumière tamisée leur apparut alors de l’un des box. Ezio fit signe à au groupe de rester derrière. Il prit discrètement la direction du box lumineux. Ce n’est qu’une fois à proximité qu’il vit deux personnes, partiellement nues, en pleine relation sexuelle. Deux hommes. L’un était allongé sur le sol, et l’autre était sur lui, la tête au niveau de l’entre-jambe. Leurs vêtements, des uniformes de la police étaient disposés non loin de la porte du box.
Merde alors ! Mais qu’est-ce que c’est que ce putain de délire ?! pensa-t-il si fort que Sylvia ne put s’empêcher de constater son étrange réaction. Elle lui fit de grands signes, qui malgré le noir qui les enrobaient, Ezio ne put ignorer. Il se rapprocha du groupe.
« Alors…Heu… Comment dire…
— Quoi ? répondit discrètement Sylvia, bien qu’interloquée.
— Dans ce box, et bien… Il y’a deux agents de police en train de s’embrasser le sexe.
— Quoi ?! Répondirent à l’unisson les autres frères.
— Bizarrement ça m’étonne qu’à moitié… Ces bougres aiment tellement tripoter leurs matraques, qu’on se demande s’ils ne sont pas tous chevaliers de la manchette ! Rétorqua Ezio.
— Putain, mais on fait quoi du coup ? Demanda Sylvia.
— On continu et on se dépêche. Ces guèbres sont pour le moment, bien trop préoccupés à se compter les plis du chibre.
— Ah ah !! S’esclaffa fraco.
— Chut ! souffla Sylvia. T’as un plan ?
— Oui. Moi, je m’occupe des deux loustics allongés dans le foin. Toi Sylvia, tu vas chercher le cheval qui était censé être dans ce box. Il est dans le pré adjacent au commissariat. Ramène-le, le plus discrètement possible au niveau des box. Et bien sûr, montes-le. Une fois arrivée au niveau des box, tu nous attends. Fraco et Tiago, vous ouvrez les trois box voisins de celui où se déroule actuellement le festival du zguègue. C’est là que se trouvent les nouveaux chevaux. Montez sur vos montures et attendez-moi.
— Ok. »
Tous acquiescèrent, puis se rendirent là où leur mission les attendait. Sylvia passa furtivement devant le box éclairé, d’où des bruits pleins d’entrain se dégageait. Elle ne chercha pas à regarder ce qu’il s’y passait. Elle atteignit rapidement le pré, en ouvrit la barrière et aperçut au loin, la silhouette du cheval qu’elle était censé dérober. Lorsqu’elle s’approcha de ce dernier, la faible lueur de la lune lui permit de constater que c’était une magnifique jument à la robe Isabelle. D’un pas qui se voulait prudent, mais d’un ton qui avait tout de rassurant, elle dit :
« Bonsoir, ma belle. »
Le cheval, la remarqua, puis souffla doucement bouche fermée. A priori, cela indiquait que la jument n’était pas effrayée par la jeune tzigane.
Sylvia arracha une bonne poignée d’herbe, puis tout en restant à une distance raisonnable de la jument, lui tendit. La jument avança lentement vers elle. Elle huma le bouquet d’herbe, puis ne se fit pas prier pour l’ingurgiter goulûment. Sylvia lui servit de nouveau un bouquet d’herbe, puis cette fois-ci, lui caressa le museau.
« Qu’est-ce que t’es gentille toi. En plus, t’es magnifique ! » Elle la caressa encore quelques longues secondes, avant de lui demander :
« Tu me laisserais te monter ? Je suis sûr que oui… »
Tout en s’approchant de l’échancrure dorsale de l’animal, elle saisit le crin de la jument pour la chevaucher, mais celle-ci se mit à trotter vers le fond du pré, laissant Sylvia sur place.
« Mince ! » pesta-t-elle. La tzigane retenta une approche. Une nouvelle fois, elle réussit à caresser la jument, mais celle-ci n’en faisait qu’à sa tête. Impossible de la monter. Pas le choix, finit la manière douce. Ses frères devaient sûrement être en train de l’attendre. Si cette jument avait du caractère, Sylvia en avait tout autant. Une fois proche du cheval, elle sauta sur la bête. Son ventre tomba sur le dos de l’animal, qui partit en ruade. De sa main gauche, Sylvia s’accrocha à sa crinière. Elle réussit à se hisser. Puis à la chevaucher. Le cheval était au grand galop, et bien que Sylvia soit bonne cavalière, elle ne réussit pas à stopper la course effrénée de la fougueuse jument. C’est à peine si elle arrivait à la guider. Le cheval prit naturellement la direction des box. A toute vitesse. Lorsque Sylvia arriva à l’endroit où elle devait retrouver ses frères de la manière la plus discrète qui soit, son allure vive n’avait rien de furtif. Au contraire. Les chevaux de Fraco et Tiago prirent peur. Ils hennirent. Fort heureusement, les frères avaient eu le temps de sceller leurs chevaux avec l’équipement qu’il y avait dans le box. Ils réussirent à maitriser leurs montures assez facilement, contrairement à Sylvia, qui était à cru. Elle passa donc, à toute allure, devant ses deux frères et croisa aussi Ezio. Il était devant son box et marchait d’un pas furtif les bras chargés d’uniformes de policier. A priori, il venait de dérober les vêtements de ces derniers, pour les empêcher de donner une quelconque alerte. Forcément, leur entrevue amoureusement homosexuelle se devait de rester secrète. Quand Ezio vit Sylvia arriver en trombe sur lui, il lâcha les uniformes et sauta de côté. Il esquiva de justesse la ruade du cheval lancé à toute allure. La monture qui lui était destiné était toujours au box et garda son calme.
Soudain, venant du love box, il entendit :
« Merde, c’est quoi ce bordel ?!
— Putain ! Elles sont où nos fringues ?!!»
Les deux policiers, qui apparemment n’avaient plus la bouche pleine, venaient d’être alerter que quelque chose se passait. L’un des deux sortit du box, le membre balloté par le vent. Il aperçut Ezio.
« Mais qu’est-ce que tu fous ici toi ? »
Sans lui prêter attention, Ezio se tourna vers ses frères et leur ordonna :
« Rattrapez Sylvia ! Vite !! »
Ni une, ni deux, Tiago partit tel une flèche, suivit de son frère. Tiago manqua même de peu de percuter le policier au petit sexe dénudé, qui esquiva d’un saut. Ezio se hâta d’aller à sa monture. Un magnifique et puissant étalon noir. N’ayant pas eu le temps de le sceller, il le monta à crue et s’en alla, non sans quelques douleurs testiculaires, à toute allure du commissariat.
Une bonne centaine de mètres de chevauché après le lieu du crime, Sylvia réussit quelque peu à calmer et diriger sa jument. Elle emprunta le chemin du camp, où ses frères ne tardèrent pas à la rejoindre. Une fois à terre, et lorsqu’Ezio arriva, celui-ci se dirigea vers sa sœur, d’un pas belliqueux.
« Merde Sylvia ! T’as failli tout faire foirer ! Un peu plus et je passais même sous les sabots de ton cheval ! Cria-t-il.
— Désolé, cette satané bourrique n’en faisait qu’à sa tête ! Pire qu’une mule ! Il m’était impossible de la chevaucher ! »
Ezio jeta un coup d’œil à la monture de Sylvia. Une magnifique jument Isabelle, qui semblait être particulièrement sanguine.
« Belle prise. Elle a effectivement l’air d’avoir du caractère… Bien joué sœurette. Peu importe la façon, seul compte le résultat. Et quand je vois un tel cheval, ça en valait la peine ! Bref. La marée chaussée ne nous a pas suivi. Fort heureusement. Concernant les policiers qui nous ont vu, ils n’ont pu voir nos visages dans cette obscurité. Conclusion : Mes chers frères sœurs, cette mission est une réussite ! »
La fratrie revendit le cheval de Fraco, un hongre alezan à l’allure fatiguée. Grâce à cette vente, ils achetèrent une magnifique et grande roulotte tout confort. En bon grand frère qu’il était, Ezio offrit cette roulotte aux plus jeunes, Sylvia et Tiago. Leurs deux chevaux seraient nécessaires pour la tracter. Sylvia nomma sa jument Furie, en rapport au tempérament fougueux de celle-ci. Apache, le hongre Pie de Tiago s’entendait plutôt bien avec cette dernière. Ezio et Fraco, se partageaient la vieille et petite roulotte. Celle-ci était tractée sans aucun mal par le puissant étalon, Roc. Peu de temps après, ils quittèrent la région de florence, se dirigeant avec leur camp, vers le sud de l’Italie.