Vers dix-sept heures, Marie entendit la voiture de son père se garer dans l’allée de leur maison. Elle courut à la fenêtre et vit son père rejoindre la porte d’entrée, portant une grosse caisse en carton dans les bras. Il avait la mine soucieuse et la posture de son corps était tendue. Elle l’entendit rentrer dans la maison et se diriger de nouveau vers le grenier, puis redescendre à la cuisine où Evelyne l’attendait, le regard grave.
-Alors ? demanda-t-elle de nouveau. Arturo ne répondit pas tout de suite. Il était perdu dans ses pensées, puis son regard s’éclaira un peu et il se tourna vers sa femme qui attendait qu’il lui réponde. -Nous en parlerons après le dîner paroissial, Evie. D’ailleurs, nous devrions y aller sinon nous allons être en retard. Evelyne n’insista pas et s’empara du plateau où les délicieux cookies attendaient dans leur emballage de cellophane. Marie sortit de sa chambre et vit ses parents à l’entrée de la maison. Sa mère lui sourit et lui dit : -Nous sortons Marie. Si tu veux, Amélie peut rester dormir à la maison. Je préviendrais ses parents au dîner. Nous serons de retour vers vingt-deux heures. Il y a du poulet au frigo et du pop-corn si vous voulez regarder un film. Ok, répondit Marie. Merci maman! Passez une bonne soirée! Evelyne lui sourit mais son regard était inquiet. Cependant elle sorti sans rien ajouter.
Marie et Evelyne se postèrent à la fenêtre de la porte d’entrée et attendirent de voir la voiture familiale quitter la rue. Dès que les feux arrière du véhicule furent hors de vue, elles s’élancèrent vers l’étage qui menait au grenier. Atteignant la dernière marche, Marie et Amélie s’arrêtèrent brutalement, manquant se tomber dessus. Sur la poignée de la porte était accroché un cadenas. Marie resta un instant interloqué. Pourquoi son père avait-il poser un cadenas sur la porte du grenier ? Il ne l’avait jamais fait avant, même quand Marie était petite et qu’elle aurait pu y monter et se blesser. Décidément, il se passait quelque chose de grave et ses parents lui cachaient des choses importantes. Restant un instant à contempler le cadenas, Marie se mit à réfléchir. Elle s’approcha du verrou et l’inspecta un instant. C’était un cadenas assez banal. Il suffisait d’une clé pour l’ouvrir. Clé qui devait certainement se trouver dans la poche du pantalon de son père. Amélie lui demanda comment elle comptait s’y prendre pour entrer dans le grenier si elle n’avait pas la clé. Sans répondre, Marie descendit dans le bureau de son père et chercha dans le tiroir du bureau. Elle se mit à fouiller dedans. Amélie la regardait faire sans rien dire. Quand Marie avait une idée, il valait mieux ne pas interrompre le flot de ses pensées. Marie leva soudain la main en s’exclamant : -Ha! Ha! Dans sa main, elle tenait deux gros trombones. Sans donner d’explication à Amélie, elle se rua vers le grenier et entreprit d’ouvrir le cadenas. Amélie la suivit et la regardait avec un air étonné. Amusée, Marie lui dit : -En fait, ce n’est pas aussi difficile à faire que les gens le pensent. Il suffit de prendre le premier trombone et de le déplier intégralement pour s’en servir comme tige de tension. Ensuite, il faut déplier le deuxième trombone en courbant son extrémité vers le haut.
Tout en s’abaissant pour mieux voir le cadenas, Marie continua ses explications: – Tu dois repérer les pênes qui sont en général au nombre de trois à cinq avec le crochet. Tu remontes un à un les pênes afin de les bloquer dans la bonne position à l’aide de la tige de tension. Quand tous les pênes sont bien positionnés, la serrure du cadenas s’ouvre. A ce moment précis, le cadenas s’ouvrit et tomba sur le sol. Amélie était impressionnée. Marie se mit à rire à la tête que faisait son amie. -J’adore les romans policiers, dit-elle pour se justifier. Amélie se mit à rire aussi. -Tu m’épateras toujours, Marie. Elles pénétrèrent dans une petite pièce sombre que seule une minuscule fenêtre éclairait. Il y faisait poussiéreux et la pièce était rempli d’un capharnaüm impressionnant. Il y avait de vieux meubles, des boîtes de cartons entassées sur toute la surface du plancher et un grand miroir recouvert d’un drap campait au fond de la pièce. Marie inspecta le sol et repéra les traces de pas que son père avait laissé dans la poussière. Elle les suivit et se retrouva devant la boîte que son père avait ramenée avec lui. Elle l’ouvrit doucement et en fit l’inventaire. Elle y trouva tout un tas d’amulettes étranges, de croix chrétiennes, et d’autres objets, tels que des plumes d’oiseaux, des objets aux formes étranges faits dans une sorte de glaise. Elle trouva aussi un livre, sorte de grimoire, avec des symboles étranges également. La couverture représentait un homme avec des cornes et des attributs censés appartenir à un bouc.
Elle trouva également un petit sac rempli de sel, une petite poupée dont la tête se dévissait, un petit sac de charbon de bois, ainsi que quelques représentations d’images bibliques en papier glacé. Elle prit la poupée et dévissa la tête. A l’intérieur, elle y trouva une mèche de cheveux et ce qu’elle pensa être des rognures d’ongles. Dégoutée, elle revissa la tête de la poupée et replaça le tout dans la caisse.
Amélie regardait tous ces objets avec stupeur. Pourquoi le père de son amie possédait-il ce genre d’objets. Car bien qu’elle ignorât ce qu’ils étaient vraiment, ils avaient l’air empreint d’une sombre énergie. Prise de panique, elle demanda à Marie si elle pouvait retourner dans le salon et regarder un film. Marie, aussi interloquée que son amie par ces découvertes, décida de suivre son conseil. Elle remit le tout dans la boîte et sortit de la pièce en remettant le cadenas à sa place. Elles descendirent jusqu’à la cuisine, prirent les cuisses de poulet dans le frigo, ainsi que le pop-corn et s’installèrent dans le salon. Marie alluma la télévision, et les filles se mirent à grignoter en silence le poulet. A l’écran, un vieux film d’horreur venait de commencer. Sur l’écran, un gros homme se faisait jeter une malédiction par un vieux gitan. Intéressées, les filles se concentrèrent sur l’histoire mais sans faire de commentaires. A la fin du film, les parents de Marie rentrèrent enfin de leur dîner. -Coucou, les filles! dit Arturo. Vous avez passé une bonne soirée ? Evitant son regard, Marie et Amélie lui répondirent que oui mais vu l’expression de son père, Marie se doutait qu”il se demandait ce qu’elles pouvaient bien mijoter. Sans insister, il se dirigea vers la cuisine et alla poser le plateau vide qui contenait les cookies au chocolat. Evelyne, sa mère, regarda sa fille d’un regard intense, mais n’ajouta rien. Elle posa son manteau sur la patère de l’entrée et monta dans la salle de bains. Marie entendit l’eau couler et se retourna sur Amélie.
– Je pense qu’on devrait aller se coucher maintenant, dit-elle. Amélie baîlla et se leva pour se diriger vers l’escalier. Au passage, elle souhaita bonne nuit au père de Marie et monta doucement les marches vers la chambre de son amie. Marie s’apprêtait à la rejoindre quand son père l’appela de la cuisine. D’un pas hésitant, elle alla s’asseoir près de lui et attendit. Son père la regarda intensément. On aurait dit qu’il mettait de l’ordre dans ses pensées avant de les exprimer. Puis, se levant, il commença à parler.
-Tu sais, Marie, parfois, dans la vie, les choses ne se passent pas toujours comme on le voudrait. On veut parfois arriver à faire quelque chose mais on ne peut pas pour diverses raisons. Marie l’écoutait mais ne comprenait pas où son père voulait en venir.
C’est pourquoi sa dernière phrase la laissa interloquée. – Je veux que tu quittes ton club d’écriture littéraire. Ta mère et moi pensons que ce n’est pas fait pour toi et que ça risque d’influencer tes résultats scolaires. En plus, tu as déjà plusieurs activités extrascolaires qui t’occupent déjà assez. Donc, demain, j’aimerais que tu préviennes monsieur Basselier que tu quittes le club. Marie en resta bouche bée. -Pourquoi ? dit-elle. J’ai de très bonnes notes et j’assume très bien toutes mes activités! J’aime écrire des histoires et en plus je participe au concours cette année. Son père se retourna vers elle, le visage sévère, s’énervant : – Je t’ordonne d’abandonner ce club! Si tu ne le fais pas toi-même, je le ferais pour toi! Marie ne comprenait pas. Qu’y avait-il de mal à faire partie de ce club. Ce n’est pas comme si elle perdait son temps en jouant à “Donjons et Dragons” au lieu de faire ses devoirs. Elle avait toujours été une élève appliquée et n’avait jamais manqué une journée d’école, ni une seule activité. De plus, ses parents ne s’occupaient pas habituellement de ses activités, la trouvant assez mature pour choisir ce qui lui convenait. Elle avait douze ans après tout. Marie allait de nouveau prendre la parole, quand sa mère descendit de la salle de bain, habillée d’un peignoir bleu, et prit sa fille par les épaules. -Ecoute ton père, ma chérie. C’est pour ton bien. Allez, va te coucher maintenant. Il est déjà tard. Marie regardât sa mère et vit que toute tentative de résistance était inutile. Elle se dirigea donc vers sa chambre en souhaitant bonne nuit à ses parents. Amélie était déjà endormie et Marie alla se coucher sans dire un mot. Pleins de questions se bousculaient dans sa tête. Son père n’avait jamais été aussi sévère ni aussi intraitable. Et que dire de sa mère ? Elle n’était même pas intervenue alors qu’en temps normal, elle laissait au moins Marie défendre son point de vue avant de trouver un compromis qui pouvait contenter tout le monde. Décidément, cette journée était loin de la vie à laquelle elle était habituée. Sur ses pensées, elle finit par s’endormir.