L’intrus

2 mins

Dès l’abord de la vie, au premier cri poussé en salle d’accouchement, l’intrus façonne son œuvre habitable : vous ! Fécondé dans le silence du sang, il insuffle un langage somatique dans les abysses de votre cerveau, éduque les différents stades ondulatoires qui font lien, se diffuse parmi les circuits neuronaux, organise la plasticité cérébrale. Sa secrète entreprise, un sans-faute n’ayant rien à redouter de la difformité des êtres, et qui prend soin de tenir à l’écart les flux d’une conscience qu’il juge besogneuse, étriquée. Juste bonne à perpétuer les ragots humains. Trop humains. Celle-ci a beau survoler les méninges, simuler un avion fantôme affecté au décollage de la pensée, quelles que soient ses intentions réflexives louables ou non, pour l’intrus, la conscience n’est qu’une figure de style tapageuse, un procédé de métaphore spatiale qui, à chaque sortie dans le monde, navigue à vue dans un monoplace à réaction.

Et puis un jour, les premiers symptômes apparaissent. Une série de tests se manifeste à l’improviste, un jeu de cache-cache s’instaure. Un malicieux manège tourne autour de vous. C’est lui, c’est l’intrus. Votre fêlure, son domicile fixe. Complice d’un élan trompeusement taquin, un pas de trop, une main entremetteuse qui vous retarde, il se plaît à déposer, ici et là, de banals accessoires du quotidien : lunettes, pull, paperasse, téléphone portable, clés de voiture… Une somme d’éléments égarés vous précède, vous devance, à tout moment, une répétition de rendez-vous ratés vous guette. De plus en plus près.

C’est alors que, durant une conversation, un souvenir languissant sur le bout de la langue, l’intrus décide de vous faire bredouiller un nom, biffer un mot, gommer un anniversaire, un paysage. Puis de déformer une voix familière, jaunir une photo récente, détourner un voyage de sa destination. D’enjamber des années entières d’une vie qui s’achève sans existence. Jusqu’à dissiper un visage aimé dans l’oubli et fixer à jamais son regard sur vos yeux.

Un dernier soleil en chemin, aujourd’hui, le jour ne se lèvera pas. Dissimulé sous des lésions qui vous arrachent à la réalité, vous ne l’entendez pas, mais l’intrus exulte. Jamais, vous ne saurez que sa mission si bien accomplie n’était qu’une feinte experte car votre heure a toujours été sienne.

Désormais, vous n’êtes plus chez vous. Vous ne vous appartenez plus. Vous n’êtes plus vous-même depuis que sa force supérieure vous a fait basculer dans un monde sans secours, un purgatoire où vous êtes déjà là et pas encore. Un entre-deux où il est trop tôt pour mourir, trop tard pour revivre. Une chambre médicalisée où le triomphe de l’intrus se reflète sur votre visage perdu, dépouillé. Sans miroir.

***

Et de nouveau, on frappe à la porte. La main insiste.

– C’est qui ?

– C’est moi. Je peux entrer ?

– C’est qui, moi ?

– C’est moi, papa, ta fille. Je peux entrer ?

Quelques pas approchent. Au milieu de la chambre, Maria et son amour diluvien.

– Papa, je suis là. C’est moi, ta fille. Ta petite Maria… Papa… ?

– Maria ?… Ah… Et depuis quand j’ai une fille ? demande l’intrus.

 

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx