L’envolée du Constellation Chapitre 1

Du même auteur : Les Critiques aquatiques — Trolloic Dumbing Down

Chapitre 1 – Désir versus la peur

515 mots

     Au signal du chef de piste, les quatre puissants moteurs cyclone R-3350 rugirent. Le Constellation s’avança sur le tarmac. Avec son fuselage cambré et son empennage à trois gouvernails, l’avion mythique offrait une ligne audacieuse teintée d’une touche de raffinement. L’appareil pivota. Le portique d’embarquement se remplit d’une odeur âcre.

     Gerflynt Glåss avait dix-huit ans. Ce premier contact avec l’aviation lui tarauda l’estomac. Dehors, le ciel n’annonçait rien de bon. Elle abaissa sa voilette. 

     Au yeux de la jeune femme, Enzo Falsetti son compagnon de voyage était un homme plutôt séduisant, sauf pour un détail. « Flynt ! Ne faites pas l’enfant ! Où allez-vous ?

— Là où je vais…Connard… 

— Ils vont appeler l’embarquement ! 

— Je m’en tape… »

     Gerflynt soupira et s’en alla jouer du coude parmi la cinquantaine de voyageurs. Vapeurs d’eau de Cologne, talc, la plupart s’était déjà mis au cocktail. Mais à distance, le regard de cet homme était encore plus oppressant. Seize heures à passer enfermée avec ce crétin. Une tâche impossible. Elle souffla, mieux valait lui montrer le dos et surtout, penser à autre chose. 

     L’aéroport Idlewild avait récemment été rebaptisé au nom de Fiorello LaGuardia, un maire de New-York reconnu pour sa force et son intégrité. L’endroit prenait la forme d’une vaste rotonde surmontée d’un dôme où s’alignaient les comptoirs de billetterie. Une affiche déployée sur trois étages annonçait des vols pour l’Oklahoma. Une autre célébrait la route vers Las Vegas, ville mythique où, bien calé dans un fauteuil de l’Atomic Bar, on pouvait admirer les explosions nucléaires presqu’hebdomadaires à cette époque.

     Mais toute cette modernité ne suffisait pas à faire décolérer la jeune femme. « Mise en laisse à mon premier voyage… Comment ai-je pu céder… » Ses tempes battaient la mesure, ce n’était jamais bon signe. Elle connaissait pourtant la raison de sa mauvaise humeur. Ce chaperonage de dernière minute allait nuire à la réussite de son projet. Fraîchement diplômée du high school, la jeune femme se rendait à Marseille pour assembler un cargo de meubles à destination de New York. Ces efforts devaient lui permettre de gagner la confiance d’une puissante famille, la seule capable de l’aider à retrouver sa mère naturelle. Cette femme avait en effet croisé leur route, mais ce qui était advenu d’elle demeurait un mystère.

     Jetée trop tôt à la rue, la jeune Gerflynt avait survécu à une enfance ballottée entre différentes familles d’accueil. À travers les étalages des commerçants, au milieu de la violence des gang de rues, elle avait malgré tout réussi à se tailler une place dans le milieu. Ses services de vigile avaient été remarqués par les dealers et revendeurs de substances, la fillette ayant le don de pouvoir repérer les policiers en civil presque d’instinct. Une personne marchant trop vite, des mains serrées dans les poches, des yeux fouilleurs, tous ces détails lui parlaient. Habile à reconnaître les campagnards fraîchement débarqués du train, elle avait gagné la confiance des prostituées pour finalement livrer des petites quantités d’héroïnes. Bref, à sa manière, l’enfant avait fouillé en vain le Lower East End. 

     Aucune trace de sa mère. Peut-être n’allait-elle jamais la trouver, mais qu’à cela ne tienne, la môme était incapable de se résigner.