Ce qu’en décida l’éternité (chap I – Le Saint et le Loup – 3/3)

7 mins
Précédemment: (Chap 1 – Le Saint et le Loup – 2/3)

« Qu’est-ce que c’est que ca ? »

« Une clef ! » Répond Hireki triomphant

« Qu’est ce que tu veux que j’en fasse ? !»

Le japonais, pétri d’espoir, le bonheur manifeste, ne perçoit pas le regard méfiant que lui lance Gabriel.

« Vivre avec moi ! » Répond-il enthousiaste « Tu as 18 ans aujourd’hui ! Plus personne n’a de droit sur toi maintenant ! »

« Haha ! » Le rire qui retentit est plein de dédain. Le même qui imprègne désormais le visage de Gabriel « Tu perds pas le nord toi ! Donc maintenant que je n’appartiens plus légalement à personne, tu poses des droits sur moi ? »

Hireki est douché.

« Qu’est ce que tu racontes ? Je veux juste t’aider !»

« Tu veux juste me sauter ! » Rétorque Gabriel en lui lançant la clef au visage.

C’est à un masque froid que laisse subitement place l’air de chien battu du métis. La réaction est sans appel.

« Retire ce que tu viens de dire ! » dit-il sèchement

« Pourquoi ? »  Lui sourit sournoisement Gabriel « C’est la vérité, non ? »

« Arrête ca immédiatement Gabriel… » Hireki ne bouge pas, son regard noir est implacable alors que sa poitrine se gonfle un peu plus à chaque inspiration.

L’adolescent l’ignore. C’est en gardant sa ligne de conduite qu’il s’approche de lui, aguicheur. Il a touché le point sensible.

Son regard se fait plus sensuel pendant que sa main glisse sur le ventre de Hireki.

« Tu me détestes quand je fais ca ? »  demande-t-il.

Le métis lui saisit brutalement le poignet avant que ses doigts n’atteignent son entrejambe. Une colère sourde bouillonne en lui. Ses lèvres frémissent, sa mâchoire tressaute, son souffle s’accélère de plus en plus sonore mais Gabriel ne flanche pas. Il se penche un peu plus.

« Est-ce que tu me détestes quand je fais ça ? » Susurre-t-il, toujours aussi enjôleur, les lèvres chaudes à l’oreille de l’asiatique. Il peut sentir les doigts trembler autour de son poignet.

« Je ne veux juste pas… » Chevrote Hireki « Je ne veux juste pas … te voir comme ca »

Il craque et Gabriel s’en réjouit. Tristement. Parce que s’il ne résiste pas à Hireki, Hireki, lui, peut toujours le rejeter.

Il se laisse davantage aller, sa silhouette longiligne coule, suave contre le corps tendu par une fureur contenue. Sa joue glisse langoureusement contre celle de son ami « Repousse-moi » chuchote-t-il les lèvres contres les siennes.

Hireki le lâche …

« Il a reculé… » C’est sur ce détail que Gabriel ouvre les yeux

Le petit appartement est calme. Hireki est resté au rez-de-chaussée du duplex, dormir sur le sofa. L’ange s’assoit sur le lit. Il remet ses idées peu à peu en place en même temps que les nombreuses couches de couvertures qu’il a repoussées dans son sommeil.

« Quelle ‘ frisquette’ … » souffle-t-il exaspéré par le côté frileux de son meilleur ami.

Il tapote les draps qui relâchent un instant un parfum frais et réconfortant. Le même que celui des vêtements empruntés. Le même que celui de la pièce. Le même qui le berce dès qu’il pose le pied chez Hireki. Il ferme les yeux quelques secondes avant de balayer la chambre du regard.

Les volets ne sont pas fermés, les rideaux non tirés, elle est baignée des lumières artificielles de la rue que le manteau blanc de l’hiver amplifie. L’ambiance est sereine et apaisante. Gabriel se sent toujours bien chez Hireki.

Il se lève fumer par la fenêtre. La neige ne tombe plus depuis que Hireki l’a retrouvé cet après-midi là. Le froid s’est adouci aussi.

Ce paysage aurait pu être sien chaque matin.

Gabriel repense à son rêve. Son anniversaire. Le jour de ses 18 ans. Il aurait pu tout plaquer ce jour là.  Seulement …

« Si je pars, elle meurt » Confit-il à la nuit.

Il cogite un long moment, les yeux dans le vague, oubliant sa cigarette qui laisse tomber ses dernières cendres sous le souffle léger du vent.

Les regards de Hireki sont de plus en plus lourds à porter. Sa tristesse comme son désir. Il ne peut plus les cacher et lui ne peut plus les ignorer. C’est un fardeau qu’ils portent tous les deux mais qu’il est le seul à pouvoir alléger.

Sa décision est prise. Cette vague idée est maintenant ferme et irrévocable. La peur qui, jusque là, le faisait hésiter n’y changera rien. Seul Dieu pourrait le faire dévier de son chemin. A cette pensée, il porte machinalement la main à sa poche. Son chapelet a dû s’échapper au milieu des draps en bataille. Quant à sa croix d’argent, elle a disparu sur la colline.

Ses doigts se dirigent instinctivement à son oreille droite où pend une croix rehaussée d’un jade. Pourquoi elle, pourquoi est ce la seule sur laquelle il peut s’épancher ? Peut-il réellement faire ça,  précisément sur cette croix si précieuse?

« C’est Hireki qui me l’a offerte » Confesse-t-il à Dieu. Elle porte en elle son bien le plus précieux : Un amour sincère. « Je ne comprends pas… » Si c’est un signe, il est incapable de l’interpréter.

Le panneau lumineux de la pharmacie attire son regard. 4h44.  Une chaleur apaisante emplit sa poitrine

« Laisser mourir la rose » Lâche-t-il tout bas.

Ses doigts pressent doucement la pendeloque alors qu’il ferme les yeux

« Vous qui avez dit : ” En vérité, je vous le dis, demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira !” voici que je frappe, je cherche et je demande la grâce … Soyez-en certain, si je m’égare en cet instant ce n’est pas par mépris. C’est le choix le plus noble et le plus sincère. Je vous prie et je vous conjure, avec toute la ferveur de mon âme, puissiez-vous faire que Hireki…»

***

Le poing qui s’abat sur son épaule le réveille instantanément. Hireki dort peu mais a toujours eu le sommeil très lourd. Il ne comprend rien à ce qui lui arrive. Il s’essuie le visage, chassant les dernières bribes de rêves puis ses yeux s’habituent peu à  peu à l’obscurité.

« Réveille-toi !! » Au dessus de lui, la lune éclaire un visage doux aux grands yeux verts.

« Gabriel ? »

« Je veux dormir avec toi»

Le jeune homme se glisse sous les couvertures sans attendre, se pelotonnant le plus possible contre son torse. Il rêve, ca ne peut être que son rêve qui se poursuit.

« Pousse-toi !!! » Gabriel le flanque d’une violente poussée. La douleur dans son estomac, elle, est bien réelle.

« Gaby, qu’est ce que… ?  Retourne dans le lit !!» Se redresse-t-il soudainement.

Gabriel le fixe la moue boudeuse et le regard intense.

« Viens dormir avec moi  » supplie-t-il mielleux

« Gaby… » Le métis le retient gentiment par les épaules en tentant de se redresser un peu plus mais Gabriel l’enlace adroitement d’une jambe pour se retrouver, d’un coup de bassin, à califourchon sur lui. Il se penche, le visage à quelques centimètres du sien

« Pour te remercier … »

C’est un pesant moment de silence qui s’abat dans la pièce. Leur visage est si proche que la moindre parole ferait se frôler leurs lèvres. Hireki ne comprend rien à ce qui lui arrive jusqu’à ce que Gabriel sourie. Un sourire obscène, malsain alors que son corps vient peser davantage contre son bas-ventre.

« Tu ne veux pas que je te remercie ?» Demande-t-il.

Ce sourire étrange, ses paupières qui papillonnent, ce corps lascif qui fond sur lui. Hireki est incapable de réagir mais son corps lui ne se fait pas attendre. Gabriel ondule des hanches, surpris, le regard faussement innocent. Il rit d’un éclat ingénu et pervers en baissant le regard « Tes yeux ne sont pas les seuls à ne pas savoir mentir…»

C’est un cauchemar. Ca ne peut pas être réel.

« Je sais être un gentil petit garçon tu sais… Hi chan ! » Cette voix enfantine qui prononce son surnom d’enfance mêlée aux doigts qui pressent le renflement de son pantalon. Hireki sent la peur et la rage monter en lui. Il n’est pas comme ça. Il n’est pas un salaud comme tous les autres.

Il se débat pour s’extirper de cette horreur obscène,en vain. Gabriel glisse vers sa ceinture, le regard lubrique, la bouche entrouverte, sa langue déjà érigée en rempart contre le frottement de ses dents.

Hireki se met à trembler, le désir est bien là, sa raison s’affaiblit. Il le veut. Il le veut aussi de cette manière. Il veut le prendre violemment, enserrer son corps jusqu’à fondre entièrement en lui. Il perd pied, il ne contrôle plus rien. La bouche s’agrandit et il voit son corps prêt à prendre ce qu’il désire depuis toujours sans qu’il ne puisse rien y faire.

Le temps ralenti. Les doigts tirent langoureusement sur la taille du vêtement « Ce n’est pas moi qui le veut comme ça… »

Il ne répond plus de rien

« Je dois l’arrêter » Tout s’embrouille « Mais je ne veux pas le repousser » Sa tête tourne, encore une fois. Un vertige intérieur « Je le veux près de moi »  Il sombre. Ses yeux se révulsent « Mais je ne veux juste pas » La chaleur du sang sur son visage « Je ne veux juste pas… » Le gout du sang sur ses lèvres « … Le voir comme ca »

Son crâne éclate!

« RETOURNE CHEZ TOI ! Je veux que tu retournes chez toi MAINTENANT !» Hurle-t-il en se dégageant.

Il chancèle, débraillé. Il veut s’éloigner loin, très loin de ce tourment qui git maintenant, misérable, au sol. Gabriel est là, pitoyablement enchevêtré dans les couvertures. Une madone déchue.

« Dégage! » Sa voix est calme mais Hireki ne se retourne pas lorsqu’il prononce cet ordre. S’il se retourne, il lui pardonne.

Il entend Gabriel se relever, silencieux. Le frottement de ses pieds nus sur les marches de fer. Hireki tremble, la colère ne s’apaise pas.

« Il a tout gâché, il a tout sali…» Ses poings se contractent, il sent son visage se crisper sous la haine.

«Non» Son souffle devient sourd « C’est elle qui gâche tout »

Cette femme si douce, cette figure féminine qui a comblé le vide laissé par la mort de sa mère. Celle qui a pris soin de lui  durant les absences de son père. Oksana. Cette femme qui a offert au monde son précieux ange est aussi celle qui va le faire disparaitre. C’est à cause d’elle que Gabriel boit, c’est à cause d’elle qu’il se donne, c’est à cause d’elle qu’il souffre. C’est par ses choix à elle que Gabriel ne peut pas rester auprès de lui.

« Je veux qu’elle meurt! »

Gabriel trébuche quand la voix sombre et sèche de Hireki le heurte alors qu’il descend les escaliers. Il le regarde un moment, le souffle coupé. Le métis est toujours debout au milieu de la pièce. Il tremble si fort que Gabriel perçoit chaque soubresaut de son corps malgré l’obscurité. Sa respiration, rauque, résonne dans toute la pièce.

C’est un loup enragé qui se découpe dans la rondeur de la lune.

Mais il veut le serrer contre lui. Lui dire que tout va bien. Que tout ira bien maintenant…

C’est toujours en silence qu’il enfile ses vieilles chaussures. Il a revêtu ses vêtements de la journée. Ils portent maintenant le parfum de Hireki, le parfum de la sécurité… Et celui de la culpabilité.

Lorsqu’il s’apprête à sortir, une main se pose sur la sienne. Des doigts chauds et doux qui suivent le mouvement des siens autour de la poignée. S’il ouvre la main, leurs doigts s’entremêlent. Il sent le torse de l’asiatique se presser contre son dos. Son corps est chaud lui aussi tout comme le souffle des paroles qu’il glisse à son oreille

« Tu es plus qu’une chose pour moi»

Gabriel refoule la boule douloureuse qui se forme au fond de sa gorge. Le regard indifférent, le visage impassible. Toujours garder le contrôle. Du reste, il ne regrette rien.

« C’est la meilleure solution. Ne pas rester auprès de lui»

L’asiatique lâche la poignée d’un geste brusque qui ne parvient ni à cacher sa colère ni sa déception.

« J’en ai marre de te sortir de la merde et que tu ne comprennes pas que… »

Gabriel ne veut pas entendre les mots qui vont suivre. Il les devine mais ne veut plus les entendre. La porte claque sans un regard en arrière.

«.. je t’aime » finit Hireki en sanglotant silencieusement.

 

(Chap I – 3/3)
Suivant: Chap 2 – La Poupée qui dit ‘oui’ – 1/4

 

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