CHAPITRE 4 « Je marche… »

6 mins

Lieux inconnus, date inconnue

Je me suis éveillé et j’ouvris lentement les yeux, découvrant avec effroi que j’étais plongé dans l’eau. 

 J’allais me noyer ! J’étais glacé et il faisait sombre. Pris de panique, et par réflexe, je battis des bras et des jambes vers la lumière que j’apercevais au-dessus de moi. Émergeant rapidement hors de l’eau, je pris une grande bouffée d’air.

 Déboussolé, je relevai la tête cherchant une sortie. Apparemment, je me trouvai dans un vieux puits en pierres. Par chance, il y avait une échelle en fer fixée contre la paroi. Je l’empruntai prudemment en prenant garde de ne pas glisser sur les barreaux humides. Arrivé en haut, je m’assis quelques instants pour reprendre mon souffle.

 J’étais frigorifié, mes vêtements étant trempés, je décidais de les retirer. En me relevant, je fus pris d’un violent vertige et avant même de pouvoir réagir, je chutai sur le sol froid avant de perdre connaissance.

 Un frisson me réveilla. J’avais l’esprit embrumé et mes oreilles bourdonnaient. Recroquevillé, j’étais allongé par terre, nu comme un ver. Je tentai de me lever, mais mes muscles endoloris ne m’obéissaient pas. J’ouvris lentement les yeux en analysant ce qui m’entourait.

 J’apercevais des arches en pierre au-dessus de ma tête. Sous mon dos, la pierre avait remplacé le confort de mon lit d’hôpital. Autour de moi, il n’y avait plus aucune trace de ma chambre ni de mes équipements médicaux.

 Je distinguais vaguement quelques vieux tonneaux en chêne. Une ampoule jaunie éclairait faiblement la pièce. Je cherchais du coin de l’œil mon fauteuil, en vain.

 Cet endroit ressemblait à une cave. Qu’est-ce que je faisais là ? M’avait-on enlevé ? M’appuyant machinalement sur mes bras pour me relever, je constatai avec stupéfaction que mes jambes bougeaient. Mieux encore, je respirais normalement sans aucune aide médicale ! Dans la précipitation et l’urgence du moment, je ne m’en étais même pas rendu compte en sortant du puits.

 Abasourdi, je restai quelques minutes assis là, à constater avec émerveillement, et une certaine méfiance, le miracle qui venait de se produire. Je réalisais que c’était impossible et que j’étais probablement en train de rêver. Ma joie disparut instantanément, et pourtant, je ressentais bien le sol froid sous mes pieds et mes fesses. L’air empestait le moisi, cette même odeur que l’on retrouve souvent dans des endroits peu aérés. Ce rêve paraissait si réel que c’en était déroutant.

 Je ne l’avais pas remarqué jusqu’à maintenant, mais j’avais un bracelet autour du poignet, une petite chaîne en argent sertie de perles noires. C’était le seul objet que je possédais, et c’était un bijou de femme ! Je mis quelques instants pour comprendre qu’il s’agissait du bijou que j’avais trouvé dans le coffret de mon arrière-grand-père. Néanmoins, celui-ci semblait en meilleur état. Je décidai de le garder jusqu’à ce que je comprenne ce qui m’arrivait. J’examinais les vêtements que j’avais retirés en sortant de l’eau et constatai qu’ils n’étaient pas à moi et que la chemise était déchirée et tachée de sang.

 Il fallait que je trouve des vêtements secs et propres, je décidais donc d’explorer les lieux. En découvrant le nombre de tonneaux gisant au sol, j’en déduisais qu’il s’agissait d’une cave à vin.

 Je me dirigeai vers une vieille porte située dans le fond de la pièce. Je la poussais lentement. Celle-ci grinça sur ses gonds, laissant apparaître une vaste salle voûtée.

 Anxieux, j’entrais discrètement à l’intérieur de la pièce. J’avais l’impression d’être dans l’une de ces vieilles boutiques d’antiquités que l’on trouve parfois en France. Des tas d’objets en tout genre s’entassaient et s’étalaient devant moi : des tableaux de maître, des bibelots en cuivres, des services complets en argent…

 En passant devant un miroir, je m’arrêtais net devant mon reflet : je ne me reconnaissais pas, seuls mon visage et mes yeux verts m’assuraient qu’il s’agissait bien de « moi ». Je me touchais les joues et me pinçais l’avant-bras pour me réveiller, en vain…

 J’étais partagé entre la joie, l’incompréhension et l’inquiétude. Je n’étais pas préparé à ça ! Je me tenais debout alors que je n’avais plus marché depuis mes douze ans !

 Ce qui m’arrivait était incroyable et défiait toute logique. Je devais me rendre à l’évidence, il s’agissait forcément d’un rêve !

 Décidant de profiter de la situation, j’entrepris de me familiariser avec mon nouveau corps.

 J’avais un physique robuste, mes muscles étaient saillants, loin de l’image du gringalet chétif que j’étais en réalité. Voici donc à quoi je pourrais ressembler sans cette maudite maladie ! Je ne pus m’empêcher de m’admirer pendant de longues minutes.

 Je posai quelques instants mon regard sur mon entrejambe et celui-ci semblait avoir bénéficié du même miracle…

 Je secouais la tête ! Je devais me concentrer sur d’autres priorités. Je remarquai alors une profonde plaie circulaire au milieu de ma poitrine, située au niveau du cœur. En la touchant, une violente décharge me parcourut le corps qui me fit tomber à genoux.

 Percevant du bruit au loin, je compris qu’il fallait vite que je me trouve des vêtements. Même si j’avais à présent un corps d’Apollon, je n’en restais pas moins pudique. Dans un renfoncement de la pièce, j’aperçus une armoire entrouverte. Elle contenait des tenues en lin rangées avec soin qui semblaient dater des années 30-40. Il y avait de quoi se vêtir de pied en cap.

 Je réfléchis un instant. Si j’étais plongé en plein rêve, ça ne dérangerait personne que j’emprunte ces habits. J’attrapais des sous-vêtements qui semblaient être à ma taille. Malgré leur look vieillot, ces tenues ne sentaient pas le renfermé.

 Je m’observais à nouveau dans le miroir. J’esquissais un petit sourire amusé en me voyant ainsi accoutré. On aurait dit que je participais à un film historique. Je portais même un béret ! Il y avait également une dizaine de paires de chaussures neuves qui sentaient le cuir. Par chance, j’en trouvai une à ma taille.

 Une fois habillé, je poursuivis mon exploration et quittais cette caverne d’Alibaba. Je débouchai dans un long couloir sombre au bout duquel se dressait un escalier, menant peut-être vers la sortie. Je m’y dirigeai avec prudence.

 Une lumière blafarde éclairait le lieu. J’entendis au loin des voix étouffées provenant du niveau supérieur. On aurait dit de l’allemand. Ne sachant pas ce qui m’attendait, j’entrais dans la première pièce en refermant la porte derrière moi.

 La pièce était plongée dans le noir. Je cherchai à tâtons l’interrupteur sur le mur. Mes doigts s’arrêtèrent sur un bouton rond en porcelaine et actionnèrent la commande. Une faible lumière inonda la pièce. Je restai bouche bée. Devant moi se trouvait un homme attaché sur une chaise, le visage tuméfié, ne laissant aucun doute sur la violence des coups qu’il avait dû recevoir.

 Le sol était tâché de traces de sang séché. Sur une table collée le long du mur, toutes sortes d’instruments plus ou moins tranchants y étaient éparpillés.

 Dégoûté, je m’apprêtai à ressortir, mais l’homme leva les yeux vers moi. Il arborait une fine moustache, ses yeux noisette étaient boursouflés et injectés de sang.

 L’homme tenta de parler malgré son bâillon. En m’approchant pour le lui enlever, je remarquais qu’il ressemblait comme deux gouttes d’eau au meilleur ami de Justin.

 J’étais sûr de moi, j’avais toujours eu une bonne mémoire visuelle et je me souvenais parfaitement de cette photo qui trônait sur la cheminée de son bureau. Elle m’avait toujours intrigué. Je l’avais observé sous toutes les coutures en demandant à Justin le nom de chaque homme qui s’y trouvait.

 Sur le cliché, on voyait une dizaine de G.I. américains assis autour de la carcasse d’un char Tigre nazi. Sur le devant de la photo se tenait mon arrière-grand-père, accroupi avec un pistolet-mitrailleur Thompson dans les mains. Il était accompagné de résistants français, dont l’un d’eux était l’homme attaché sur la chaise. Il n’y avait aucun doute, il avait la même moustache et le même regard droit et fier. Les mêmes grains de beauté constellaient le haut de son front.

 L’homme remua la mâchoire et cracha du sang, puis demanda en me foudroyant du regard :

— T’es qui toi ? Il avait parlé en français. Par chance, j’avais étudié plusieurs années dans un collège français.

— Je m’appelle Augustin, dis-je simplement, avec un léger accent. Fronçant les sourcils, mon interlocuteur me demanda.

— Tu es avec eux ?

— Avec qui ? Le prisonnier leva les yeux au ciel, exaspéré.

— T’es con ou quoi ? Les Schleus ! Cette question.

— Les Schleus ? répétais-je, perplexe.

— Oui les Allemands ! Qui d’autre ? demanda-t-il en ricanant.

Je ne comprenais rien à ce qu’il me disait. J’étais vraiment confus et j’avais hâte de me réveiller. Voyant que je ne répondais pas, le prisonnier ajouta.

— Si tu es arrivé ici libre, c’est que tu es avec eux. C’est quoi cet accent pourri ? Tu viens de quel trou paumé d’Allemagne ?

— Non, je ne suis pas Allemand !

Complètement embrouillé, je lui demandais.

— Pourriez-vous arrêter de me hurler dessus et me dire où nous sommes ?

Il me fixa avec des yeux ronds.

— T’as perdu la boule ?

— Je ne crois pas avoir « perdu la boule ». Je ne comprends pas vos questions, c’est tout !

L’homme leva à nouveau les yeux au ciel avant de me répondre…

— Dans les sous-sols de la kommandantur de Dijon.

— À Dijon ? En France ?

— Oui, où veux-tu qu’on soit ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? Ils t’ont frappé trop fort ? Faisant fi de la remarque, je réfléchissais à toute vitesse. J’assemblais difficilement les pièces du puzzle.

J’avais donc quitté Boston pour me retrouver en France ! Ce rêve devenait de plus en plus absurde !

Observant mes habits et ceux du prisonnier, je le questionnais :

— Quel jour sommes-nous ?

— Le mercredi 10.

— Quel mois ? Quelle année ? Mon interlocuteur me dévisagea l’air consterné.

— C’est quoi cet interrogatoire ? Une nouvelle forme de torture ?

— Répondez s’il vous plaît… Murmurais-je lassé par cette conversation qui n’avait aucun sens.

— Nous sommes le 10 décembre 1941. Voilà, satisfait ? me répondit-il d’un ton provocant.

Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale. Qu’est-ce que je foutais là ?





























































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2 Commentaires
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Haldur d'Hystrial
1 année il y a

Top bon!

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